Le peuple de la Taiga



“Qui suis-je? Une caméra, un oeil, un mouvement.

Partagé entre la danse et la photographie, je me définis dans les deux. A vrai dire, l’un ne va pas sans l’autre dans ma manière de travailler.

 A la recherche de nouveaux défis, je voulais faire autre chose que de la photo de danse et plus me porter vers la photographie de portrait. Car chaque portrait renferme une histoire, je ne voulais pas simplement shooter des visages mais leur donner un sens plus profond.

A coups de recherches, je suis tombé sur un peuple vivant dans une zone reculée du Nord de la Mongolie.

L’aventure commençait déjà quelques mois avant le départ. Je suis passé de photographe curieux en recherche du “peuple éleveur de rennes” à humain en recherche d’une aventure intense avec les Doukha, leur vraie dénomination.

J’avais fait le pari osé de réaliser ce voyage avec mes amis de la vie de tous les jours. Seul hic, la plupart d’entre eux n’ont jamais touché une caméra de leur vie.

Après un vol Bruxelles - Beijing, nous avons mis 7 jours, 7 nuits à rejoindre l’emplacement de ce peuple qui attisait ma curiosité. Ces 7 jours ont été une réelle école, où j’ai eu le temps d’apprendre à mes potes les bases du métier et ce que je voulais comme résultat. Ça a aussi été une école où j’étais un élève ; si j’ai choisi de voyager depuis Beijing à l’arrache c’est parce que je voulais vraiment voyager de manière locale avec les Mongols, apprendre à les connaître, à les comprendre et je ne l’ai pas du tout regretté car nous avons fait de merveilleuses rencontres.

Nous aurions pu prendre un vol direct mais tous les Mongols d’Europe prennent ce chemin car moins cher. Utiliser cette route, c’est s’imprégner dès le départ de ce que nous recherchons. Ce genre de voyage crée des relations, des amitiés. Elles nous confrontent à différents chemins.

Ces 7 jours ont aussi été une école pour apprendre ce que sont le temps et la distance en Mongolie. Car à peine arrivé en Mongolie, les notions de distance ne sont vraiment plus les mêmes.

Par exemple, pour parcourir 700Km il faut en moyenne 15 heures de route, 200Km 14 heures de route et 50Km 12 heures de route … ajoutez à cela le manque de sommeil, mais la détermination et la curiosité étaient nos principales ressources.

Tout dépend de l’endroit où nous nous trouvons et de la manière dont nous devons traverser ce bout de chemin. Pick up, voiture, cheval ; là était la difficulté de ce voyage pour aller à la rencontre des Doukha.

Le plus surprenant, c’est que sur tout le voyage je n’ai pas sorti une seule fois mon appareil photo pour prendre quelques clichés car j’étais parti pour un but précis et je ne voulais pas tout mélanger. J’avais tellement à apprendre !

J’ai fait uniquement quelques portraits au dernier village avant d’être déconnecté du monde car c’était le Naadam festival, la fête nationale en Mongolie, réunissant des lutteurs de tous les coins du pays.

A leur demande, et après plusieurs jours d’échanges et de contacts j’ai donc pris quelques portraits, j’avais une petite imprimante portable avec moi et à la fin de la séance photo ils sont tous repartis avec leurs clichés. Sur ce coup, la photo faisait partie de l’apprentissage et de l’échange avec les Mongols.

Chez nous, nous pouvons acheter l’intimité d’une personne pour quelques euros, là-bas, ça ne marche comme çà ! Il faut gagner leur confiance ainsi que leur respect. Il faut dialoguer, apprendre à connaître, apprendre à demander, apprendre à recevoir un refus sans être déçu. Tant de petites choses qui donnent une vraie histoire à votre projet photographique.

Une fois arrivé sur place, j’étais vraiment impatient de commencer à prendre des photos mais personne ne mérite d’être volé de la sorte. Prendre des photos à l’insu de ses gens, ça ne m’a jamais plu même dans des sociétés où c’est “normal”. J’ai aussi réalisé à ce moment-là que leur rythme de vie n’était pas le même que le nôtre dans notre mode de vie occidental. Le choc était là entre moi, enfant de la ville avec une caméra et eux, des nomades vivant au cycle des saisons.

J’ai alors monté un petit studio dans mon Tipi en toute intimité, je voulais instaurer une relation de confiance et de partage sans trop d’artifices aux yeux des gens.

Etre discret dans notre manière de faire et de ne pas trop être intrusif dans leur vie.

Ça n’était pas sans difficultés pour quelqu’un d’impatient. Ou plutôt quelqu’un de patient qui a trouvé plus patient que lui ; il m’arrivait d’attendre 7h, 8h dans le tipi pour qu’un nomade vienne me dire “non”. Et sur ce coup, non c’est non.

J’en ai beaucoup appris sur eux, leurs manières de vivre et aussi sur leur avenir incertain.

Mais rien ne m’aura plus impressionné que leur rapport au temps.

Chez les nomades, nous n’avons pas la même notion, les saisons, la recherche de l’eau, les âges ont une importance que nous ne voyons plus dans nos villes dotées de baignoires, de chaudières et d’Internet.

Cette manière de vivre devient de plus en plus rare et nous devrions nous en inspirer par moments.

Voulant renverser le fantasme photographique où le nomade est le sujet pris à son insu dans son milieu naturel, nous avons décidé de reproduire les conditions d’un studio professionnel au sein de la taïga. Le tipi faisant office de studio pour poser notre matériel - mais aussi, “accessoirement” nos lumières, nos bagages, nos couvertures, et beaucoup d’autres choses vitales - nous avons dû nous immerger au sein des habitudes des Doukha, respectant ainsi leurs notions du temps, de l’intimité et de la communauté.

Malgré tout, les regards sont résolument tournés vers l’est, vers le levant, vers la lumière. A l’horizon clair des steppes, un espoir subsiste de voir une tradition 6 fois centenaire perdurer malgré l’attrait vers la modernité.

Ce peuple arrivera-t-il alors à survivre à l’heure où les jeunes découvrent la technologie, les villes et où de plus en plus de monde abandonne cette vie nomade difficile?

L’avenir nous le dira !


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